Le plafonnement des indemnités de licenciement prud’homales

Beaucoup de bruit pour rien ?

FIGAROVOX/TRIBUNE – Emmanuel Macron souhaite au plus vite favoriser l’emploi en imposant un plafonnement des indemnités de licenciement. Pour Alexandra Sabbe-Ferri, spécialiste du droit du travail, cette réforme en est une fausse et ne rétablira pas fondamentalement la confiance des employeurs.
Alexandra Sabbe-Ferri est associée du cabinet SAGAN Avocats

Selon Emmanuel Macron, le plafonnement des indemnités de licenciement prud’homales est une nécessité pour libérer l’embauche. Il n’a jamais fait mystère de sa conviction ni en tant que ministre de l’économie lorsqu’il avait proposé un barème d’indemnisation plafonnée, ni en tant que candidat à l’élection présidentielle refusant tout compromis sur ce point. Il dispose maintenant du pouvoir suprême et de l’arme des ordonnances pour l’imposer: le plafonnement devrait être effectif dès le mois de septembre 2017.

Faut-il pour autant trembler ou exulter?

Les indemnités de licenciement prud’homales dans l’œil du cyclone visent exclusivement celles versées en réparation d’un licenciement injustifié, c’est-à-dire un licenciement dont le motif n’est pas jugé valable par le conseil de prud’hommes.
Elles ne se confondent donc pas avec les indemnités de licenciement obligatoirement payées lors de la rupture du contrat de travail. Un employeur qui licencie, hors cas de faute grave, devra toujours s’acquitter de l’indemnité de licenciement prévue par la loi ou la convention collective selon la formule la plus favorable au salarié, du salaire au cours du préavis et de l’indemnité de congés payés.
Le plafonnement envisagé ne concerne pas non plus l’ensemble des demandes dont un conseil de prud’hommes peut être saisi: les rappels de salaire, les rappels d’heures supplémentaires, les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, les dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat, les dommages et intérêts pour harcèlement… La liste pourrait encore être longue.
Ces indemnités de licenciement prud’homales sont actuellement régies par une vieille loi de 1974 qui prévoit une indemnité minimum de 6 mois de salaire pour les salariés injustement licenciés qui justifient de plus de 2 ans d’ancienneté et travaillent dans une entreprise de plus de 10 salariés. Sous cette réserve, le principe est celui de l’octroi d’une indemnité réparant le préjudice prouvé, souverainement appréciée par les conseils de prud’hommes sans aucun plafond.
Ce qu’enseigne la pratique des conseils de prud’hommes, c’est qu’ils ne sont pas généreux et le sont de moins en moins. Force est de constater que, comme l’aurait dit Fernand Raynaud, aux prud’hommes, «ça eut payé, mais ça paye plus». Sauf cas particuliers et graves, un salarié injustement licencié bénéficie d’une indemnité de l’ordre de 6 mois de salaire qui dépasse rarement 10 mois de salaire.
Dans le cadre de sa loi éponyme de 2015, Emmanuel Macron avait envisagé d’imposer une indemnité de licenciement prud’homale corsetée entre un plancher et un plafond fixés en fonction des deux critères retenus par la loi de 1974: l’ancienneté du salarié (pour tenir compte de son préjudice) et la taille de l’entreprise (pour tenir compte de la capacité financière de l’employeur). Le Conseil constitutionnel s’y était opposé en déclarant inconstitutionnel le critère de la taille de l’entreprise, dès lors qu’il est sans lien avec le préjudice du salarié.
Se conformant à la décision des Sages et pour obtenir le soutien de la CFDT, la loi Travail du 8 août 2016 a remplacé le barème Macron initial par un barème indicatif, ne s’imposant pas aux conseils de prud’hommes et ne retenant que le critère de l’ancienneté, selon lequel les indemnités varient entre 1 mois de salaire, pour une ancienneté inférieure à 1 an, jusqu’à 21,5 mois de salaire pour une ancienneté supérieure à 43 ans.
Si l’intention du Président est de rendre obligatoire ce barème indicatif, les salariés pourront probablement s’en réjouir dès lors qu’ils seraient pour leur majorité mieux indemnisés. Il est en effet vraisemblable, que le plafond soit, en fait, utilisé comme un forfait. Pour les conseils de prud’hommes, l’évaluation d’un préjudice n’est pas aisée, surtout qu’un consensus doit être trouvé entre les deux conseillers prud’homaux représentant les salariés et les deux conseillers prud’homaux représentant les employeurs qui composent, à eux quatre, la formation de jugement. Si les conseillers salariés se voient contraints par un plafond d’indemnisation, ils pourraient en contrepartie tenter de l’imposer aux conseillers employeurs comme étant la norme tarifaire.
S’il s’agit de redonner vie au barème mort-né de la loi Macron de 2015, la situation des salariés sera légalement moins favorable mais, dans la pratique, pas très différente de ce qu’elle est aujourd’hui quand les conseils de prud’hommes sont autorisés à user de leur pouvoir de libre appréciation du préjudice.
Quant aux employeurs, leurs grandes espérances pourraient être déçues. D’abord, comme il vient d’être dit, le montant des indemnités ne devrait pas fondamentalement différer avant et après le plafonnement. Mais surtout, la sécurité juridique attachée à ce plafonnement sera illusoire dès lors qu’il est partiel et ne concerne que les indemnités de licenciement injustifié.
Pour un employeur, peu importe que l’indemnité de licenciement soit plafonnée, s’il est condamné à payer d’autre indemnités prononcées sur d’autres fondements juridiques parce que c’est évidemment le coût judiciaire total qui pèse sur son entreprise. Or, les conseils de prud’hommes manient avec brio le principe des vases communicants entre les différentes demandes du salarié, qui leur permet de prononcer une condamnation globale qui leur parait juste, selon des critères qui leur sont propres. Par exemple, alors qu’aujourd’hui un conseil de prud’hommes inclut les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire dans l’indemnité de licenciement pour accorder disons 30 000 €, demain il pourra prononcer une condamnation globale pour un montant strictement identique en la ventilant entre l’indemnité de licenciement plafonnée disons à 20 000 € et les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire non plafonnés qu’il fixera à 10 000 €.

"Malgré toute la détermination du président et l’efficacité des ordonnances, rien n’empêchera un conseil de prud’hommes de prononcer la condamnation qu’il souhaite, sans limite ni restriction légale."

En conséquence, malgré toute la détermination et l’énergie présidentielles et malgré l’incomparable efficacité des ordonnances, rien n’empêchera un conseil de prud’hommes de prononcer la condamnation qu’il souhaite, sans limite ni restriction légale. A plus forte raison lorsqu’on se rappelle que les conseillers prud’homaux qui fixent le montant des indemnités sont, pour la moitié d’entre eux, précisément issus de ces syndicats qui s’y opposent farouchement.